Lope de Aguirre

La première de Lope de Aguirre, traître,
mardi 5 mars
 Scène Nationale de Bayonne.

Ca y est.
Le somptueux "voyage" à l'intérieur d'un crâne auquel nous convie José Manuel Cano Lopez s'offre  désormais au public. Public qui va se retrouver dans  la troublante errance de ces Conquérants désespérés tournant... et tournant... et retournant -  n'est-ce pas, mon cher Maranon-Pascal Mettot ! -  autour de ce père, ce Lope, ce traître, auquel ils sacrifient tout  ( et qu'on ne fait qu'entrevoir dans la  superbe scène de la lettre au roi Philippe, d'ailleurs ).
Ce père qui leur a promis la revanche des "petits blancs" oubliés par la métropole et, accessoirement, les trésors d'Omagua...
Le vaste espace de la Scène nationale restitue parfaitement  la solitude de ces 9 personnages qui ne retrouvent que dans les moments de choeur  un abri bienveillant. Magistralement éclairées par Alberto Cano, les six toiles-décor de Philippe Phérivong prennent vie et semblent dialoguer avec les personnages, leur incarnation progressive est soulignée par les costumes qu'ils revêtent au fur et à mesure. Des costumes éclatants dont Marylène Richard signe avec brio la création et qui jouent harmonieusement avec les coiffures et les maquillages de Jacques et Annick Perrusson. Troublé, le spectateur a alors  l'illusion que les toiles se mettent à saigner - lointain souvenir d'un Faust mémorable à la première Menuiserie... -, et ce miracle de la San Gennaro renvoie tout à fait à un intérieur d'église baroque que la scénographie suggère.
Ces images sont magnifiques, le jeu des comédiens, lui, est étonnant. Choeur à six, choeur à trois ou soliloques, ils offrent tous les registres de jeu, du comique de farce au pathétique de la tragédie, avec précision et justesse de jeu dans une  salle où l'acoustique est pourtant un peu difficile. 
Il faut les citer tous : Raymonde Palcy, poignante Inès de Atienza, Pascal Mettot, renouvelant  de façon étonnante le Miles Gloriosus de Plaute avec son Maranon, Alain Papillon en inquiétant boucher Llamoso, magnifique, Françoise Cano Lopez qui offre avec la scène d'Ana Rojas suppliciée une image de Piéta qui marquera les mémoires et les imaginations, Thierry Vermote dont le chroniqueur Pedrarias fait basculer la pièce dans une mise en abîme stupéfiante et la douce Elvira interprétée tout en justesse par Lise Laclavetine qui signe ici de brillants débuts.
L'univers sonore étrange et troublant renforce la cohérence de cet ensemble servi par un texte étonnant de Sinisterra et une traduction vraiment remarquable de Claude Demarigny.
Ce voyage proposé et magistralement orchestré par José Manuel Cano Lopez est mythique et l'atterrissage au foyer après la représentation se fait tout en douceur grâce à  l'accueil chaleureux de l'équipe de la Scène nationale.
Encore bravo à toute la Compagnie à l'oeuvre depuis de longs mois sur ce projet.
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Du 15 au 30 mars, vous pourrez embarquer sans risques à Oésia, dans la nouvelle salle installée à Notre-Dame d'Oé, au nord de Tours.
Un tel voyage sous les auspices de la Bonne Mère, il ne faut absolument pas le manquer.

Jean Louis Maître